ASIE/LES ÉMIRATS ARABES UNIS - Mgr Martinelli : Le Synode de Rome et notre "Église pèlerine

lundi, 2 octobre 2023 mission   evangélisation   eglises locales   islam   synodalité   synode des evêques  

par Gianni Valente

Abu Dhabi (Agence Fides) - "Je crois qu'il n'y a pas d'autre expérience comme celle-ci dans le monde. Une expérience où tous ceux qui partagent la foi catholique sont tous des migrants, et donc, dans un certain sens, nous sommes tous au même niveau". Il parle sans emphase, Mgr Paolo Martinelli, sur le ton de celui qui reconnaît et décrit les choses telles qu'elles sont. Depuis qu'il a été nommé Viicaire Apostolique d'Arabie méridionale, après avoir été évêque auxiliaire de Milan pendant huit ans, le capucin milanais vit immergé dans une réalité vitale et surprenante. Un lieu et un entrelacement de vies qui l'aident à porter un regard singulier sur tout, et à dire des choses hors du commun, y compris sur le Synode qui va s'ouvrir à Rome.

Mgr Martinelli, vous participez vous aussi à l'Assemblée du Synode des Évêques.
Sur la synodalité. Mais pour vous aussi, et pour les communautés de votre Vicariat, le chemin synodal a déjà commencé depuis un certain temps.

PAOLO MARTINELLI : Pour nous, la phase diocésaine du Synode a été vécue très intensément, alors que je sais qu'ailleurs le chemin a été plus ardu.

L'évêque Paul Hinder, mon prédécesseur, avait facilité la formation d'un comité qui s'efforçait d'atteindre tout le monde. Non seulement les paroisses, mais aussi ceux qui vivent isolés dans ce qu'on appelle les camps de travail, qui ne sont là que pour travailler et qui n'ont pas leur famille avec eux. Avec un groupe de jeunes, nous avons également pu les contacter, écouter leurs expériences, les laisser exprimer leurs attentes. Ainsi, le Synode est aussi devenu l'occasion d'une initiative pastorale pour prendre en charge des situations et des problèmes réels. En fin de compte, le matériel recueilli a été énorme. Nous avons reçu près de 100 000 réponses au questionnaire, et beaucoup d'entre elles ne provenaient pas d'individus mais de groupes communautaires, d'associations et de mouvements. Le résultat est un document de synthèse qui est également utile pour saisir la condition générale de notre Église et reconnaître le désir grand et répandu de partager davantage, de marcher davantage ensemble, et ainsi faire ressortir le visage d'une Église capable d'un témoignage plus intense.
 
Quel visage de l'Église a émergé ? Quelles sont ses connotations, ses traits distinctifs ?

MARTINELLI : Notre peuple est extrêmement diversifié et apporte avec lui des traditions, des langues et des rituels différents. Cela apparaît toujours lorsque nous visitons les paroisses : il y a des groupes nationaux, des communautés linguistiques et des Églises sui iuris, qui ont donc des traditions spécifiques. Ce désir de partager davantage les grandes richesses dont nous disposons, de partager les expériences et les projets, est également apparu dans le cheminement synodal au niveau local. Dans cette diversité, nous sommes une seule Église, entre autres un vicariat et non un diocèse. Et nous partageons le fait que nous sommes tous des migrants. Personne ne reste là en permanence. Tous sont venus dans ces pays à la recherche d'un travail, et tous savent qu'ils y resteront peut-être dix, vingt ou trente ans, avant de retourner dans leur pays d'origine. Cela signifie que personne n'est "citoyen" et que l'Église est très "pèlerine" et liée à des contingences. Par exemple, avec Covid, beaucoup ont perdu leur emploi et ont dû retourner dans leur pays d'origine. Aujourd'hui, on observe un flux de retour intéressant.


Une condition objectivement singulière. Les nombreuses identités et diversités ne génèrent-elles pas des tensions ?

MARTINELLI : Il y a cette richesse donnée par les différentes traditions. Il faut chérir ses propres traditions mais aussi apprendre à les partager, en reconnaissant ce qui est déjà partagé et commun avec les autres. C'est une grande aventure, un chemin de partage qui enrichit toujours la vie de l'Église. Je crois qu'il y a là quelque chose de prophétique pour le monde entier.
 
Quelles sont les caractéristiques "prophétiques" de votre expérience ?

MARTINELLI : Je crois que ce qui se passe dans la péninsule arabique peut être observé avec intérêt par toute l'Église. D'une part, nous partageons une expérience ecclésiale très simple et essentielle. Nous ne pouvons pas faire de grandes choses, nous sommes amenés à nous concentrer sur les gestes essentiels de la vie de l'Église : la célébration liturgique, les moments de catéchèse et de partage... D'autre part, nous nous rendons compte que le peuple de Dieu a une énorme richesse et aussi un énorme désir de participer à la vie de l'Église. Notre problème est que nous n'avons pas assez d'espace pour accueillir tout le monde. Les vendredis, samedis et dimanches, nous avons des messes de six heures du matin à neuf heures du soir, et les églises sont également pleines en semaine, à la messe de six heures et demie du matin : des travailleurs et des étudiants qui remplissent la cathédrale et vont ensuite à l'école et au travail. Ils sont l'image d'une Église simple, riche des traditions de la vie chrétienne. Venant de l'Ouest, cela a été un choc pour moi de voir le peuple de Dieu si passionné par la vie de l'Église, avec une disponibilité et une volonté de s'engager dans le bénévolat, et les catéchistes qui animent les messes... tout cela avec un enthousiasme désarmant pour quelqu'un de l'Ouest, où il est peut-être difficile de se rencontrer, et où beaucoup d'églises sont à moitié vides... Il y a une simplicité et une vitalité qui, je crois, devraient être écoutées.

Dans cette condition, quel rôle joue le trait de temporalité, d'une certaine précarité que vous avez évoquée ?

MARTINELLI : Une Église de migrants est par définition une "Eglise pèlerine", qui habite le présent en reconnaissant son caractère transitoire. Et même dans les structures que nous mettons en place, nous devons tenir compte de ce fait.
 
Une telle condition peut nous libérer de la prétention de construire quelque chose de définitif par nos propres forces. En quoi cela facilite-t-il le voyage ?

MARTINELLI : Dans notre Église de pèlerins et de migrants, tout le monde est comme ça, y compris les évêques, les prêtres et les religieuses. Nous sommes donc tous dans la même condition. Nous devons tous apprendre à habiter le présent avec foi, en reconnaissant le caractère transitoire de ce que nous vivons. C'est ce qui nous rend libres et passionnés dans notre vie quotidienne.

Quelles voies peut prendre le désir de témoigner de l'Évangile du Christ dans la péninsule arabique ?

MARTINELLI : Dans un contexte comme le nôtre, on peut vivre et communiquer l'Évangile à travers des formes simples de témoignage. Évidemment, rien qui ressemble de près ou de loin à du prosélytisme.
Pour nous, le premier soin est de rejoindre nos fidèles. Les soutenir dans leur travail. Non pas pour avoir des prétentions de "conquête", mais pour accompagner chacun dans une expérience de foi qui, en tant que telle, devient un témoignage dans la vie familiale, au travail, à l'école, dans les rencontres quotidiennes avec des personnes de différentes confessions. La foi qui naît de la grâce est ouverte à la rencontre et au témoignage de tous, elle sait cheminer avec les autres, même dans la connaissance réciproque et le dépassement des préjugés. C'est une expérience qui a lieu surtout dans les Émirats, où même les autorités insistent beaucoup sur la tolérance pour favoriser la coexistence, et maintenant cette maison abrahamique est née, où le dialogue interreligieux est souligné dans la ligne du Document sur la fraternité signé à Abu Dhabi par le Pape François et le Grand Imam d'Al Azhar Ahmed al Tayyeb. En suivant cette ligne, les communautés de croyants peuvent apprendre à s'estimer mutuellement et à reconnaître qu'elles ont une contribution à apporter ensemble, pour le bien de tous.

Il ressort clairement de votre récit que vous vous intéressez à des choses et à des dynamiques autres que les questions qui sont placées par tant de personnes en tête de l'agenda du Synode, telles que les questions d'éthique sexuelle ou la redistribution des parts de pouvoir dans l'Église...

MARTINELLI : Certains des sujets que de nombreux médias présentent comme les "points chauds" des prochaines discussions synodales semblent absolument lointains. Ils ressemblent vraiment à des choses "occidentales". Et peut-être portent-ils aussi la marque d'une certaine lourdeur culturelle par rapport à la fraîcheur d'une expérience de foi qui est toute immergée dans la vie quotidienne et qui reconnaît la foi comme le facteur même qui soutient le voyage de la vie. D'où le désir de pouvoir grandir, de marcher ensemble. C'est ainsi que nous sommes, et nous devons plutôt apprendre à nous accepter tels que nous sommes, et à nous estimer dans nos différences. Les différences culturelles sont également importantes, car un Indien est différent d'un Philippin, d'un Italien ou d'un Nigérian.

À la lumière de tout cela, quels sont les atouts à préserver et à faire fructifier pour grandir ensemble ?

MARTINELLI : Ce qui est essentiel, c'est que les chrétiens puissent faire l'expérience d'un réel partage de ces différences, et reconnaître et expérimenter que tout peut être reconnu comme une valeur, et peut être valorisé dans la foi, parce que ce qui nous tient ensemble, c'est le baptême. Nous avons le même baptême, quelqu'un du Sri Lanka, ou du Pakistan, ou du Liban, ou du Sénégal. Nous sommes si différents, et pourtant le même baptême a fait de nous tous des enfants de Dieu et une partie du mystère de l'Église. C'est vraiment fascinant de voir toutes ces différences englobées dans l'unité de l'Église.

Le cardinal et franciscain brésilien Paulo Evaristo Arns avait l'habitude de dire : "Le baptême vivant est ce qui fait de nous une Église, le reste n'est que ministères et services".

MARTINELLI : S'il y a un chemin à parcourir ensemble, dans une expérience synodale, c'est la voie à suivre. (Agence Fides 2/10/2023)


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