Facebook missio München
Bamako (Agence Fides) - « Depuis 2012, le Mali traverse une crise multidimensionnelle : sécuritaire, institutionnelle et économique », affirme Jonas Dembélé, évêque de Kayes, président de la Conférence épiscopale du Mali, qui a accordé un entretien à l'Agence Fides.
Excellence, comment l'Église du Mali vit-elle la crise qui frappe le pays depuis 2012 ?
Récemment, la crise s'est intensifiée en raison des actions des djihadistes et de la propagation du banditisme. En tant qu'Église du Mali, nous sommes touchés par cette violence, mais les actions des djihadistes touchent l'ensemble de la population malienne. En effet, la violence djihadiste n'est pas dirigée spécifiquement contre les chrétiens mais touche l'ensemble de la population du pays.
La situation la plus difficile concerne le diocèse de Mopti où il y a des zones où les prêtres ne peuvent plus aller et où certaines églises ont été profanées. Dans d'autres zones, il n'y a plus de liberté de prier : on peut se réunir en assemblée pour prier mais on ne peut pas, par exemple, chanter. De plus, la Zakhat ou Dhimmi est imposée aux chrétiens pour continuer à prier.
Les gens ont fui les villages de la campagne où ils sont livrés à eux-mêmes car l'Etat ne peut pas assurer leur présence. Lorsque les djihadistes arrivent dans ces lieux, ceux qui le peuvent fuient et se réfugient dans les villes.
Les agriculteurs ont dû abandonner leurs champs et n'ont pas pu récolter leurs produits. Cette année, des inondations sont venues aggraver la situation des agriculteurs.
Que fait l'Église pour aider les personnes déplacées des zones contrôlées par les groupes djihadistes ?
Dans nos diocèses, Caritas est active pour venir en aide aux personnes déplacées. Ce n'est pas un phénomène récent. Depuis 2012 déjà, le diocèse de Bamako dispose d'un centre d'accueil pour les déplacés du nord. Beaucoup de personnes qui viennent dans les centres d'accueil gérés par Caritas sont musulmanes. Cela permet de changer la perception des gens. Comme le rappelle le Pape François dans l'encyclique « Fratelli Tutti», nous faisons vraiment partie de la même famille. En tant qu'Église au Mali, nous avons fait de « Fratelli Tutti » un outil pastoral et un moyen de dialogue avec les autres religions. Lors d'une rencontre avec des leaders musulmans, nous avons montré une photo du Pape François avec des leaders islamiques. Cette image a beaucoup touché nos interlocuteurs. Un prêtre congolais qui a étudié l'islam à Rome et qui connaît bien l'arabe était également présent ; les musulmans étaient étonnés de voir un prêtre catholique parler arabe.
Y-a-t-il des signes d'espoir dans cette situation?
Oui. Ce qui est réconfortant, c'est que la nouvelle Constitution promulguée en 2023 stipule que le Mali est une république démocratique et laïque. Cela signifie qu'au niveau de la direction de l'État, il y a une ferme intention de veiller à ce que chaque Malien puisse librement professer sa foi. Nous avons une bonne coopération avec les dirigeants de l'État et les dirigeants musulmans. Il y a un leadership musulman qui est très ouvert au dialogue. Dans mon diocèse de Kayes, nous travaillons en harmonie avec ce qu'on appelle les Ançar Dine (« Ceux qui aident la religion », un mouvement soufi à ne pas confondre avec le groupe djihadiste Ansar Dine qui opère dans le nord du Mali, ndlr). Depuis trois ans, nous organisons des rencontres interconfessionnelles, notamment avec les jeunes pour les sensibiliser au dialogue et à l'ouverture à l'autre.
Les écoles catholiques contribuent au dialogue interreligieux?
Il faut d'abord mentionner l'héritage des Missionnaires d'Afrique qui, dès le début de l'évangélisation du pays, ont fait de l'école un lieu de rencontre où les enfants et les jeunes musulmans et chrétiens sont éduqués ensemble. Actuellement, 80 % des élèves des écoles catholiques sont musulmans. Cela crée des liens d'estime mutuelle et d'amitié entre les membres de différentes confessions. À cet égard, il ne faut pas oublier la religion traditionnelle présente aux côtés de l'islam et du christianisme. Les chrétiens, les musulmans et les adeptes de la religion traditionnelle peuvent vivre ensemble dans la même famille. Cela permet un dialogue au niveau social, d'autant plus qu'il y a des événements qui sont célébrés ensemble. Par exemple, lorsqu'il y a un mariage catholique, nous n'empêchons pas les musulmans de venir à l'église.
Il y a aussi un événement national qui attire les Maliens de toutes confessions et qui est célébré dans votre diocèse...
Il s'agit du pèlerinage marial national à Kita à la fin du mois de novembre (30 novembre-1er décembre) auquel participent des chrétiens (catholiques et protestants) et des croyants musulmans. Je me souviens d'une musulmane venue présenter son bébé à la Vierge Marie à qui elle avait demandé auparavant la grâce d'avoir un enfant. Comme elle avait été exaucée, elle est venue au sanctuaire avec son fils, en disant à tout le monde : « Je ne suis pas chrétienne, je suis musulmane, mais Marie a exaucé ma demande ». Le pèlerinage est également fréquenté par des représentants de l'État qui viennent demander la paix pour notre pays.
En conclusion, que faut-il faire pour rétablir la paix au Mali ?
Le terrorisme n'est pas seulement un problème malien, c'est un problème international. Dans notre pays, malgré les difficultés, nous essayons de promouvoir la paix en dialoguant avec nos frères musulmans et nos frères qui adhèrent à la religion traditionnelle. Il est clair que la solution ne peut pas être uniquement militaire ; si les besoins fondamentaux de la population ne sont pas satisfaits, il sera difficile de rétablir la paix. Espérons que nous commencerons bientôt à voir la lumière au bout du tunnel. En tant que communauté ecclésiale, notre première arme est la prière. Nous prions sans cesse pour la paix. Parallèlement, nous avons besoin de l'engagement de tous, car la paix est un don de Dieu, mais pour être acceptée, elle a besoin de la volonté de l'humanité d'y travailler. C'est pourquoi, en tant qu'évêques des pays de la région (Burkina Faso, Niger, Ghana et Côte d'Ivoire), nous agissons ensemble pour que nos populations vivent dans la concorde et la paix. Un engagement que nous partageons avec les responsables musulmans de nos pays. (LM) (Agence Fides 23/11/2024)