Faisalabad (Agence Fides) – Ce qui préoccupe les chrétiens du Pakistan, mais également les autres minorités religieuses et les secteurs modérés de la société civile musulmane, est « un climat diffus d’intolérance qui s’est accru au cours des dix dernières années » : c’est ce que déclare à l’Agence Fides S.Exc. Mgr Joseph Coutts, Evêque de Faisalabad et Vice-président de la Conférence épiscopale du Pakistan. « Asia Bibi – déclare l’Evêque – est le symbole de toutes les victimes de la haine religieuse et de la loi sur le blasphème qui est une arme contre les minorités ». Nous publions ci-dessous l’entretien accordé à Fides par Mgr Coutts, testimonial de la campagne de l’Aide à l’Eglise en Détresse pour l’abolition de la loi sur le blasphème, « une bataille de civilisation pour le pays ».
Comment commentez-vous le cas d’Asia Bibi ?
Asia est une femme qui subit une souffrance injuste. Elle est le symbole de tous les chrétiens victimes de la haine religieuse et de la loi sur le blasphème, devenue une arme contre les adversaires pour assouvir des vengeances personnelles. La loi frappe les minorités religieuses mais également de nombreux musulmans : la campagne en vue de son abolition est donc une bataille de civilisation pour le pays et non pas une question qui concerne seulement les minorités.
Percevez-vous des signaux encourageants à ce propos ?
Grâce à Dieu, aujourd’hui de nombreux musulmans, présents dans le monde politique et dans la société, soutiennent cette campagne: nous espérons donc qu’elle arrive au Parlement et que puissent être prises des mesures concrètes afin de changer la situation. L’intérêt démontré par des personnalités importantes – comme l’avocat Asma Jahngir et d’autres encore – nous fait très plaisir et nous permettent d’espérer.
Pourquoi est-il si difficile de modifier ou d’abolir cette loi ?
Parce que, lorsqu’on affronte le problème, on touche une question qui suscite de fortes émotions. On passe immédiatement au plan irrationnel et le débat se transforme en « croisade » pour ou contre le Prophète Mahomet. Je voudrais préciser qu’en appuyant l’abrogation de la loi, nous ne voulons certes pas justifier les insultes contre l’islam. Les partis fondamentalistes disent : la loi sert à protéger notre religion : si les chrétiens n’insultent pas le Coran, ils n’auront pas de problèmes. Mais– et c’est bien visible dans le cas d’Asia Bibi et de nombreux autres – ceci n’est pas vrai du tout dans la mesure où la loi se prête à des abus et à des instrumentalisations. Elle ne prévoit en effet pas la charge de la preuve pour l’accusateur et il est ainsi possible d’envoyer en prison un innocent sur la base d’un faux témoignage. En outre, les responsables politiques qui, par le passé, ont tenté de modifier la loi en question, ont dû y renoncer du fait de la levée de boucliers des partis religieux et des mouvements islamiques radicaux, prêts à « soulever les militants pour la défense du Prophète ».
Que peut-on faire selon vous ?
Il est important de mobiliser l’opinion publique et la société civile de manière à créer un vaste mouvement capable d’arriver au Parlement. La communauté chrétienne a toujours demandé l’abrogation de la loi. Aujourd’hui, les juristes pensent au moins à des modifications procédurales et à introduire des mécanismes afin d’éliminer les possibilités d’abus comme, par exemple l’obligation de fournir des preuves concrètes pour pouvoir enregistrer une plainte pour blasphème.
Comment vivent aujourd’hui les chrétiens au Pakistan ?
Les chrétiens souffrent parce qu’au cours des dix dernières années l’intolérance religieuse s’est accrue dans le pays. Les données de la Commission « Justice et Paix » et les rapports des principales ONG concordent. L’intolérance frappe les communautés chrétiennes, les autres minorités religieuses mais aussi les groupes de fidèles musulmans modérés, comme ceux qui fréquentent les sanctuaires soufis, souvent victimes d’attaques terroristes. Des leaders connus et des intellectuels musulmans modérés ont été tués ou séquestrés. Il est urgent qu’une telle question soit inscrite à l’agenda du gouvernement et que des mesures adéquates soient adoptées. La lutte contre les groupes radicaux, qui voudraient imposer par la violence la « charia » selon l’interprétation wahhabite de l’islam, est aujourd’hui une priorité pour le pays. Nous sommes également impliqués dans l’urgence du terrorisme au niveau régional et international.
Que font les chrétiens dans cette situation difficile ?
En tant que chrétiens, une petite minorité, nous continuons à promouvoir la paix , la justice, le dialogue et l’harmonie. Mais également à défendre et à soutenir les valeurs telles que la démocratie, l’Etat de droit, la liberté de conscience et de religion et tous les droits inaliénables de l’individu, pour le bien du Pakistan qui est notre Patrie. (PA) (Agence Fides 20/11/2010)