ASIE/PAKISTAN - Le gouvernement et les tribunaux répriment le blasphème via les médias sociaux

vendredi, 2 décembre 2022 droits fondamentaux   blasphème  

Peshawar (Agence Fides) - Un tribunal antiterroriste de Peshawar a condamné à mort Sana Ullah, un citoyen pakistanais résidant dans la province septentrionale de Khyber Pakhtunkhwa, pour avoir commis un blasphème sur les médias sociaux. Le tribunal lui a infligé une peine de 21 ans de prison et une amende de 1,6 million de roupies par la même occasion. Si l'amende et la peine de prison seront immédiatement exécutoires, la peine de mort devra être confirmée par la Haute Cour de Peshawar.
Selon le verdict, rendu le 1er décembre, tous les témoins de l'accusation sont d'accord, alors que la carte Sim du téléphone portable à son nom contenait plusieurs contenus blasphématoires, partagés par l'homme dans un groupe sur le chat "What'sApp". La plainte contre l'homme a été déposée le 4 août 2021 et l'arrestation du défendeur a eu lieu le jour suivant, en vertu des articles 295-a (insulte aux croyances religieuses), 295-C (remarques désobligeantes à l'égard du prophète Mahomet) et 298-a (insulte aux figures sacrées) du Code pénal, et de l'article 20 de la loi sur la prévention des crimes électroniques (insulte à la dignité de la personne), ainsi qu'en violation de l'article 7, paragraphe 1, de la loi antiterroriste.
Selon les informations recueillies par Fides auprès des organisations de la société civile et des communautés, le Pakistan assiste à une répression du délit de blasphème sur les médias sociaux, en appliquant servilement la législation pénale sévère existante. Les organisations islamiques utilisent toutes les instances juridiques pour contrôler ce qu'elles considèrent comme "une menace croissante de diffusion de contenus blasphématoires sur les médias sociaux". Le service de lutte contre la cybercriminalité de l'Agence fédérale d'investigation (FIA) a été mis à contribution pour surveiller et poursuivre ceux qui diffusent des contenus blasphématoires sur le Web. Le secrétaire général de la commission juridique sur le blasphème, Sheraz Ahmed Farooqui, a confirmé que la FIA s'efforce de repérer et de faire cesser la publication de contenus blasphématoires sur les médias sociaux et que 62 personnes ont été placées en garde à vue pour de telles infractions.
Un consortium d'organisations religieuses, sociales et juridiques (telles que Namoos-e-Risalat Lawyers Forum Pakistan, Legal Thinkers Forum, Tehreek Tehfuz Namoos-e-Risalat Pakistan, World Khatm-e-Nabuwat Council, Anjuman Ashqaan-e-Muhammad, Le Forum Tehfuz Khatm-e-Nabuwat, le Forum Tehfuz Khatm-e-Nabuwat Wukla, le Forum des experts juridiques et cybernétiques, le Razakaran-e-Khatm-e-Nabuwat et l'Association du barreau d'Islamabad) s'occupe de ces affaires et demande que la plus grande sévérité soit appliquée à ceux qui commettent des blasphèmes sur les médias sociaux. Le groupe religieux islamique Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), qui s'oppose à toute modification des lois sur le blasphème et a acquis une forte popularité au cours des 15 dernières années, partage cette approche.
Dans ce cadre, le ministère des affaires religieuses et de l'harmonie interreligieuse a également réactivé un groupe spécial d'évaluation sur le web chargé de surveiller les incidents de blasphème détectés sur les médias sociaux et de les signaler ensuite à la police.
Selon les détracteurs de la loi dite "sur le blasphème" (trois articles du code pénal punissant notamment l'outrage à l'islam), de nombreuses personnes, notamment des membres de minorités religieuses, sont injustement dénoncées et la loi est utilisée à mauvais escient comme un outil de vengeance dans des litiges privés. Il est à noter qu'un nombre des personnes accusées peuvent commettre un prétendu "acte de blasphème" sans le vouloir (c'est par exemple le cas de certaines personnes qui brûlent une feuille de journal sur laquelle figurent des passages du Coran, ndlr) ou qu'elles ont des problèmes de santé mentale, et qu'elles sont ciblées de manière disproportionnée, sans être pleinement conscientes de leurs actes.
Parmi les affaires entachées d'un manque de preuves crédibles et d'autres irrégularités - comme l'a relevé l'organisation "Christian Solidarity International" - figurent celles, actuellement en instance devant les tribunaux, concernant au moins 10 citoyens pakistanais accusés de blasphème, tant chrétiens (Salamat Mansha Masih, Stephen Masih, Raja Aziz Waris Masih, Noman Masih) que musulmans (Sarfraz Ahmad, M. Tayyab, Haider Ali, Mohammad Shahid, Shagufta Kiran, Sunny Waqas). Le cas d'Imran Rehman, un chrétien de 32 ans et père de deux filles, qui a été arrêté en septembre 2022 et est maintenant en prison à Lahore, accusé d'avoir publié des documents blasphématoires sur un groupe de discussion "What'sApp", est récent.
Selon le "Center for Research and Security Studies", basé à Islamabad, 1 415 personnes ont été accusées de blasphème au Pakistan entre 1947 et 2021. Sur ce nombre, 81 d'entre eux ont été tués de manière extrajudiciaire.
(PA) (Agence Fides 2/12/2022)


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